Echangeur déserté

Publié le par Christophe Leduc

Les copains, les camarades ont défilé... L'amitié, réseau brouillon où l'on navigue à grande vitesse, où l'on s'arrête peu – quelques inspirations sur le béton d'une aire de repos exigüe.

Puis des bifurcations brutales, pour s'extraire de la statue de cire refroidie qu'ils ne malaxent déjà plus ; d'interminables courbes, où l'on dérape vers le néant, cette vierge plaine où séjourne quelque autochtone inconnu – et tabula rasa, nu et grelottant, j'essaie de nouvelles parures.

Pour un temps je bridai la mécanique véloce de l'échappée... A moi la perche sur le nuage d'ouate convivial, gonflé d'alcool et tapissé de chanvre, flottant sur la grisaille des voies cloisonnées, qu'il semblait englober dans un tout amical.

Les années portent la lucidité ; le nuage a crevé. Je parcours à nouveau, seul sur ma bécane, un enchevêtrement de routes rendues plus sombres et plus humides par l'eau salée que le nimbus y déversa.

De temps à autres je convie, sur la selle glaciale, un imprudent, une impudente pour une brève chevauchée – et l'on s'égare à deux, je me repais d'une vie et de pensées étrangères, avant de lâcher l'être exsangue au milieu de la route, ou de déposer l'éphémère dans un soyeux refuge dont je m'exile. Moi le hautain cynique, c'est par instinct grégaire que je visite nombre de copains – faciles et oublieux, interchangeables.

Peu accompagnent mes sombres escapades, mes rares envolées. Du haut de notre intelligence revendiquée, loin de l'ego des hommes, loin des femmes désirées ou dédaignées, nous dominons alors de nos yeux gris et noirs la circulation des fourmis ; lucides dépressifs, nous ne voyons que vide et solitude.

Publié dans Atelier d'écriture

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