Complaintes de la précarité - 1 / Torpeur du wagon-nuit

Publié le par Christophe Leduc

Ecrire pour survivre
Fantasme adolescent d'une persistance des écrits
D'une immortalité de mes pensées, de la naissance de mon être
Ecrire, au milieu des humains, pour façonner un autre monde

S'échapper du wagon nuit

Le corps emprisonné, l'esprit inaguerri est incapable de s'évader
- lutter, échapper à la torpeur

Etrange promiscuité du wagon nuit
Les archétypes des perturbations humaines sont là vautrés
Odeurs nouvelles - frôlés troublants
De rares têtes éveillées dépassent des dossiers
Masse de sièges bien alignés par paires

Viser l'écriture automatique
Ne plus autoriser l'esprit à végéter
Produire, produire
Que les décharges infinitésimales de ce cerveau demeurent

Survivance

Présentement embarqué dans le transport commun
Passager de ses contraintes libératrices
Témoin muet

La cruauté du wagon nuit
Faible lumière - trop pour sombrer
Par la fenêtre le paysage est noir et illisible
Plus moyen de parler ici, ils s'en offusqueraient
Lui mon voisin, qui se cache dans sa capuche
Ceux qui ont déballé leurs oreillers

Ne pas tenter de l'aborder
Quelques œillades
Ceux qui s'éveillent guettent alentour
Mais craignent que l'endormi ne darde brusquement
Ses yeux écarquillés - inquisition, croisade

Mille précautions, plus de difficultés encore
Pour se saisir d'un support
Feuillets fragiles et dérisoires
Trop-plein de mots se téléscopent dans ma caboche
Ils s'assassinent dans la démence d'une empoignade

Elle ne dort pas
Pourtant je n'ose la regarder
Est-ce convenable, sera-ce mal vu ?
Nous pourrions éveiller
- ô rires cristallins des premières discussions -
tant de paires d'yeux réprobatrices

Ne plus pouvoir parler
Ecrire la confusion, dégager quelque trouvaille du brouillon
Même inintelligible, le graffiti demeure lorsque le mur s'écroule

Je n'ai plus de mémoire
Vers l'amnésie totale
J'ai oublié l'enfant, l'adolescent
Je ne suis qu'au présent

L'enfant jaunit sur les clichés d'un vieil album
Résister à l'érection
De la statue héroïque d'un mythe sépia
Mais comment s'incarner en lui ?

Je ne veux pas être un enfant, je ne veux plus
Serait-ce utile ?
Parfois pourtant Elle et moi rions comme des gamins
C'est suffisant - qu'est-ce-qui me trouble alors ?
Une sensation de discontinuité
Sursauts subits, le cd saute, j'ai loupé le refrain

Le wagon nuit pour quelques heures
Suit une trajectoire rectiligne
C'est un direct

Viser l'écriture automatique, ne jamais s'arrêter
Je dois me scier les veines
Je ne peux m'endormir
Suis trop crevé pour l'Ennui
Place aux heures nihilistes

Le mouvement
Que j'ai sciemment amorcé
Ne s'arrête plus
Je glisse entre les rotatives
De la machine - elle m'a happé
Lisse et diaphane désormais
Pourtant je la crois prête à me broyer
Toujours j'ai pensé en finir disloqué

Contradiction
Fatalisme, résignation

Il faut bien travailler
Tu ne peux pas écrire trois pages tous les six mois
Coulée de diahrée d'un cortex intoxiqué
Tu ne peux pas survivre ainsi
Tu ne peux pas choisir cette unique maîtresse
Tu travailles à t'en persuader

La solitude est productive
Le plus lourd des parpaings dans le mur de ma folie

Des crises
Le soir
Au milieu de la nuit
Hyperactivité
Marcher, parler, tonner, fumer
Manipuler ce qui m'entoure
Je me sens l'œil pris d'un feu froid
Trop fébrile pour s'asseoir et écrire
SInon des bribes incendiaires
Le synopsis qui s'apprête à me consumer

Disparition des crises
Périodiques, sporadiques
Exceptionnelles
Serait-ce à cause d'Elle ?
Ai-je écrit pour qu'Elle me voie ?
Pour qu'elles me voient ?

Dorénavant l'écriture est un effort
Un travail
Mon job ?
Pfff
Fainéant
Improductif

Tant pis

Une diarhée
Des spasmes
Se vider
Jusqu'à ?
Dépérir
Ecrire pour annihiler toute vitalité

Fini
Plus rien
Plus de tensions, plus de désirs
Je m'efface
Me coule dans la moiteur et la promiscuité du wagon nuit
Mélancolie
M'endors


Publié dans Courts écrits

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U
Je t'avais conseillé fermement d'écrire à nouveau - même seulement sporadiquement, par bribes, pour faire sortir tout ce que tu gardes et qui ne trouve sa place qu'une fois couché sur le papier... La quantité m'impressionne, j'en suis fière mais la qualité me glacera toujours. Comment l'objet de mon adoration peut-il avoir des mots-maux si durs en lui ?
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