Rêve d'un soir [nouvelle complète]

Publié le par Christophe Leduc

Il n'est encore qu'un jeune homme – dix-sept ans tout au plus. Officiellement c'est un skater ; en privé il s'avoue mâtiné d'un soupçon de culture gothique.

« Pas les églises, Pépé, se plaît-il à répéter à son confident décalé. C'est même plutôt le contraire... On m'a dit que les vrais goths ne croient en rien », conclue-t-il toujours de son air grave, sa voix traînante pour l'esprit pantouflard.

Il dort nu, le visage pâle. Le bel azur de son regard fuyant s'est retiré dans sa caboche, laissant le carré blond de ses cheveux gras couler le long de ses joues creuses. Il est étendu sur les carreaux blancs et noirs, dans une position incongrue – les membres droits repliés sous le corps, et les gauches étalés.
Quand il ouvre les yeux, c'est pour les refermer ; prise de conscience, première lame qui le transperce de jambe en bras – puis se retire progressivement, pour ne laisser que des piquants dans tout le corps.
Il se redresse, encore patraque ; deux-trois coups d'oeil à droite à gauche : il ne connaît pas cet endroit. Il est là dans un cube large de deux mètres. Pas d'ampoule, mais une faible luminosité permet de distinguer la lourde porte de métal, sans poignée ni serrure.

Réflexion – l'azur s'efface.

Quand il rouvre les yeux, l'embrasure libérée dévoile un long couloir, vers lequel il s'élance. Il court ; accélère, augmente sans cesse la cadence... puis c'est la fin, l'allée s'arrête.
Ses vêtements gisent à ses pieds : caleçon, baggy, des chaussures larges et un grand sweat-shirt informe, qu'il enfile en vitesse – et une porte est apparue !
Il visse la casquette jusqu'aux yeux et attrape la poignée d'un geste franc.

Il pénètre dans une grande salle d'aspect solide où règne un brouhaha fait de musique techno, de rires et de cris ; un nuage opaque navigue lentement près du plafond, comme pour filtrer la lumière.
Ça sent la sueur, le shit, l'alcool et le tabac ; c'est l'anarchie : quelques ivrognes en fin de course s'agitent au centre ; à terre, vautrés sur de vieux matelas, les fumeurs les entourent, ponctuant le silence rythmé de leur hilarité. Partout ailleurs des jeunes baisent.
En un instant, il est projeté au coeur de la fête, devient l'idole, le soleil d'une soirée héliocentrique. Quelques minutes pour communier, pour qu'un sourire se fixe sur sa face juvénile - et déjà quelques adolescentes approchent le nouveau héros. Elle le flattent et pouffent à ses réponses laconiques.
L'une est bien moins timorée que ses consœurs – et plus calîne. Du bout des lèvres, elle lui arrache son numéro de téléphone et la promesse éthérée d'un rendez-vous galant. Puis elle entraîne son cavalier docile dans une danse excentrique, pour le mener jusqu'à l'ombre d'un divan retiré.
Elle arrache la tenue ample pour découvrir le corps de son frêle amant, et l'attaque aussitôt ; très vite, il est pris dans un tourbillon de coups de reins ; la tension monte, et la sueur embue leurs sens ; les yeux clos, il laisse enfler la vague jusqu'à ce qu'un raz de marée le submerge - ou plutôt l'emporte sur sa crête, à l'allure des taureaux en furie...

Quand il rouvre les yeux, il est couché en haut d'une colline dénudée, dans la nuit fraîche. Il se relève rapidement, mal à l'aise : une présence l'épie, il en est sûr ; un être lui en veut. Quelques pas sur le plateau, pour prendre possession du lieu, ne font qu'accentuer sa gêne.
Soudain, une forme humaine se détache de l'obscurité : l'apparition encapuchonnée lui fait face, et semble le dévisager. Elle avance lentement, sans qu'il puisse distinguer autre chose qu'un sentiment de menace imminente.
Alors, il se retourne et fuit, dévale la pente sans jamais se retourner, ne pensant plus à rien - sinon à sa cavale. Il galope jusqu'à l'à-pic et saute, s'envole presque, pour plonger ensuite au fond d'un boyau souterrain ; l'eau courante, pleine de boue, l'y charrie, inconscient.

Il reprend ses esprits dans une flaque de gasoil : il est au milieu du désert, dans une station-service désaffectée. Les détritus des drogués jonchent le sol bétonné.
Alors qu'il se redresse avec précautions, le ciment vomit tranquillement le spectre de sa maîtresse au noir capuchon. Elle le fixe un instant de ses yeux rougis, avant d'éclater en un hurlement désespéré.

La sonnerie du portable retentit ; il se réveille, hagard. C'est un texto de Mélanie :
« Tu m'as baisée enculé tu m'as donné la mort j'ai le sida. »

 

Publié dans Fiction

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P
t aurais du la ressortir pour la journée du sida...
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